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August 2, 2025
Neutralité numérique, souveraineté et guerre cognitive à l’ère de l’IA militarisée
Hicheme Lehmici, analyste géopolitique

Introduction : Vers une redéfinition de la neutralité à l’âge numérique

Dans l’histoire des relations internationales, la neutralité est traditionnellement définie comme la position d’un État qui choisit de ne pas participer à un conflit armé entre d’autres États, et qui s’abstient d’apporter un soutien militaire direct ou indirect à l’un des belligérants. Ce statut implique des droits, mais aussi des devoirs, codifiés notamment dans les Conventions de La Haye de 1907, qui imposent aux États neutres des obligations de non-participation, d’impartialité, de refus du transit de troupes, et de respect du territoire.

La neutralité repose donc sur un prérequis fondamental : la souveraineté. Selon la conception classique de Jean Bodin, la souveraineté est la puissance absolue, perpétuelle et indivisible exercée par l’autorité suprême d’un État sur un territoire et une population. Elle implique deux dimensions :

  • une souveraineté interne, soit la compétence exclusive sur les affaires intérieures ;
  • une souveraineté externe, soit la liberté de ne pas se soumettre à une autorité supérieure dans les relations internationales.

Ce principe est juridiquement consacré à l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies (1945) :

« L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. »

La neutralité suisse, inscrite dans sa Constitution et reconnue par le droit international, incarne historiquement ce lien entre souveraineté et neutralité : un État qui, fort de son autonomie stratégique, choisit de ne pas s’aligner militairement, tout en assumant un rôle de médiation et de garantie de la paix.

Mais à l’ère du cyberespace, de la militarisation de l’intelligence artificielle et de la guerre cognitive, ce modèle classique est remis en question. Un État dont les infrastructures numériques sont hébergées à l’étranger, dont les flux d’informations sont captés par des puissances tierces, ou dont l’opinion publique est influencée par des plateformes transnationales, peut-il encore revendiquer une réelle souveraineté ? Peut-il encore prétendre à la neutralité ?

Dans cette nouvelle configuration technopolitique, la neutralité n’est plus simplement militaire ou diplomatique : elle devient numérique, informationnelle, cognitive, et touche au bien commun mondial, entendu comme :

  • l’intégrité des données publiques et privées,
  • la sécurité des réseaux et des systèmes critiques,
  • la fiabilité des contenus circulant dans l’espace informationnel partagé.

Il devient donc urgent de repenser la neutralité comme une stratégie active, à l’heure où les conflits ne sont plus seulement territoriaux, mais systémiques. Une neutralité numérique active implique de défendre sa souveraineté technologique, de participer à la gouvernance des communs numériques, et de garantir la stabilité cognitive de ses citoyens dans un monde dominé par les algorithmes, la désinformation et l’intelligence artificielle.

I. De la souveraineté classique à la souveraineté numérique

La neutralité, dans le droit international classique, est indissociable de la souveraineté. Elle suppose qu’un État soit pleinement libre de ses choix en matière de relations extérieures, c’est-à-dire non soumis à une autorité étrangère. Ainsi, la neutralité n’est pas une faiblesse ou un repli, mais une expression de la souveraineté : celle de pouvoir décider de ne pas prendre part à un conflit, de ne pas aligner sa politique étrangère sur celle d’un autre État, et de préserver son autonomie de décision.

Mais depuis l’avènement du cyberespace et de la numérisation systémique des sociétés, cette souveraineté, condition même de la neutralité, est fragilisée. Car il ne suffit plus de posséder un territoire et une armée pour être neutre : encore faut-il maîtriser ses données, ses réseaux, ses outils de communication, ses ressources numériques. Une neutralité numérique n’est possible que si la souveraineté numérique est effective. Il devient donc essentiel de comprendre comment la souveraineté s’est transformée, et pourquoi cela oblige à repenser ce que signifie être neutre aujourd’hui.

1.La souveraineté comme fondement de la neutralité classique

La souveraineté est la pierre angulaire du système international. Depuis les traités de Westphalie (1648), elle désigne le droit d’un État à exercer un pouvoir exclusif sur son territoire et sa population, sans intervention extérieure. Jean Bodin en donne une définition fondatrice dans Les Six Livres de la République (1576) : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République. » Elle repose sur trois fondements : un territoire délimité, une population reconnue, une autorité politique suprême, dotée du monopole de la loi et de la coercition.

Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau approfondit cette notion en y intégrant la souveraineté populaire, c’est-à-dire le pouvoir du peuple de se gouverner lui-même, par la volonté générale, inaliénable et indivisible. La souveraineté devient ainsi à la fois juridique et démocratique.

Dans le droit international contemporain, cette double dimension est reconnue par la Charte des Nations Unies (1945), dont l’article 2, paragraphe 1, pose : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. »

La souveraineté est ainsi considérée comme un droit fondamental des États, garant de leur liberté d’action, mais aussi de leur responsabilité. Elle constitue le socle de toute politique étrangère, y compris celle qui consiste à revendiquer une neutralité : sans souveraineté, il n’y a pas de neutralité possible.

2.  Le cyberespace : un défi à la souveraineté, une menace pour la neutralité

Le cyberespace (cet espace d’échange, de traitement et de stockage de l’information à l’échelle mondiale) échappe en grande partie au contrôle des États. Il est structuré par : des infrastructures transnationales (câbles sous-marins, data centers, satellites), des normes techniques fixées par des entités non gouvernementales (ICANN, IETF), des plateformes privées qui régulent l’accès à l’information (Google, Meta, Amazon, etc.).

Dans un tel environnement, l’État perd une partie de sa souveraineté fonctionnelle, et donc de sa capacité à maintenir une neutralité effective. Car comment être neutre lorsqu’on dépend structurellement d’un acteur étranger pour accéder à Internet, stocker des données sensibles, ou simplement communiquer ?

Autrement dit : la neutralité numérique présuppose une souveraineté numérique. Sans autonomie sur ses flux, ses données, ses réseaux, l’État est vulnérable aux pressions extérieures (politiques, économiques, voire militaires) même sans qu’aucune guerre ne soit déclarée.

3.  Du monopole régalien au pouvoir partagé : une souveraineté fragmentée, une neutralité compromise

Autrefois, l’État était le seul maître des infrastructures critiques : armée, monnaie, diplomatie, poste, énergie, information. Aujourd’hui, la plupart des fonctions numériques sont contrôlées par des acteurs privés. Les grandes plateformes comme Google ou Microsoft hébergent les communications diplomatiques de nombreux gouvernements, tandis que les outils de traitement de données (cloud, IA, algorithmie) sont souvent conçus à l’étranger.

Cela signifie que l’État n’a plus les moyens de garantir sa propre neutralité numérique, puisque ses systèmes de décision et d’information sont en partie exposés à des puissances ou entreprises tierces. Cela le rend objectivement dépendant … donc, politiquement vulnérable.

De plus, la souveraineté populaire, c’est-à-dire la capacité d’un peuple à décider librement de son avenir, est elle aussi affectée. Les citoyens n’évoluent plus dans un espace public régulé par l’État, mais dans des environnements numériques filtrés par des algorithmes opaques. Or la neutralité implique aussi une autonomie cognitive collective : un peuple manipulé ne peut être neutre.

4.  Le paradoxe suisse : neutralité diplomatique, dépendance numérique

La Suisse demeure l’un des rares pays à revendiquer une neutralité intégrale. Pourtant, sur le plan numérique, elle n’échappe pas à la logique de dépendance : elle utilise des plateformes étrangères pour ses services publics ; ses universités sont hébergées en partie sur des clouds transnationaux ; ses communications sont souvent soumises à des normes techniques conçues hors de son territoire.

Cette situation révèle une disjonction entre neutralité politique et dépendance technologique. Elle illustre un paradoxe majeur: on peut être neutre en droit et dépendant en fait.

Ce constat nous amène à une première conclusion essentielle : la neutralité n’est plus un simple refus de guerre. Elle devient une capacité stratégique à défendre son autonomie dans un monde interconnecté. Cela suppose de penser la neutralité numérique comme un prolongement de la souveraineté, et non comme un repli ou une soustraction.

La neutralité numérique active implique dès lors : la maîtrise nationale ou régionale des infrastructures stratégiques ; la capacité à résister aux influences normatives extérieures ; et la défense du bien commun cognitif, condition d’une neutralité crédible.

II. Infrastructures numériques et dépendance stratégique : une neutralité fragilisée

L’un des fondements de la souveraineté réside dans la maîtrise des infrastructures vitales. Cela inclut non seulement les institutions politiques et les forces armées, mais aussi, à l’ère contemporaine, les réseaux de communication, les centres de données, les systèmes de traitement de l’information, et les standards techniques qui en régulent l’usage. Dans l’univers numérique, ces infrastructures déterminent non seulement la capacité d’un État à protéger ses citoyens et son territoire, mais aussi à contrôler l’information, à préserver la confidentialité, à protéger son économie et à faire valoir ses choix stratégiques. Or, dans la configuration actuelle, de nombreux États, y compris des puissances moyennes ou avancées, n’ont plus de contrôle réel sur ces systèmes fondamentaux. Cette dépendance structurelle remet directement en cause la possibilité d’exercer une neutralité effective.

1.Une domination américaine sur les infrastructures critiques de l’Internet

Depuis les origines d’Internet, les États-Unis exercent une domination sans précédent sur les principales infrastructures du réseau. Les câbles sous-marins, qui assurent plus de 95 % du trafic mondial de données, sont en grande majorité posés, financés ou contrôlés par des entreprises américaines, comme Google, Meta, Amazon ou Microsoft. Les principaux points d’échange Internet (IXPs), les data centers stratégiques et les services de cloud public à l’échelle planétaire sont eux aussi entre les mains d’acteurs soumis au droit américain.

À cette emprise infrastructurelle s’ajoute une emprise juridique : depuis le Patriot Act (2001) et le CLOUD Act (2018), les autorités américaines peuvent accéder aux données stockées sur les serveurs d’entreprises relevant de leur juridiction, y compris lorsque ces données sont physiquement hébergées à l’étranger. Dès lors, l’extraterritorialité du droit américain transforme les États tiers en territoires partiellement contrôlés à distance.

Cette situation crée une dépendance structurelle qui fragilise directement la souveraineté numérique des États, et rend toute posture de neutralité difficilement crédible. Comment un État pourrait-il prétendre à la neutralité, si ses données stratégiques sont hébergées par une puissance susceptible de les consulter ou de les bloquer en cas de désaccord politique ?

2.  L’affaire Snowden : révélation d’une souveraineté affaiblie

Les révélations d’Edward Snowden, ancien analyste de la NSA, en 2013, ont mis en lumière l’ampleur des dispositifs de surveillance électronique déployés par les États-Unis. En exploitant leur position centrale dans l’architecture de l’Internet mondial, les agences américaines ont pu intercepter des milliards de communications, y compris entre chefs d’État, institutions internationales, entreprises stratégiques et citoyens ordinaires.

Cette capacité de surveillance planétaire, fondée sur l’accès aux câbles sous-marins, aux centres de données, aux plateformes de messagerie ou de stockage, a démontré que la souveraineté de nombreux États était devenue théorique. Elle a aussi révélé que dans le champ numérique, les rapports de force ne sont pas équilibrés. La neutralité, dans ce contexte, devient non seulement difficile, mais vulnérable, car l’État neutre peut être espionné, manipulé ou désinformé sans même avoir été engagé dans une hostilité active.

3.  La guerre des matériaux : la souveraineté par les ressources

Outre l’infrastructure et les données, la souveraineté numérique repose aussi sur l’accès aux ressources matérielles nécessaires à la production technologique. Dans ce domaine, la Chine détient un avantage stratégique considérable. Elle contrôle directement ou indirectement plus de 80 % des terres rares et des métaux critiques indispensables à la fabrication de composants électroniques, d’ordinateurs, de batteries, de capteurs et de dispositifs d’intelligence artificielle.

Cette maîtrise des ressources fondamentales place Pékin en position de force dans les négociations internationales. La Chine peut conditionner l’accès à ces matériaux à des concessions diplomatiques, technologiques ou économiques. Pour les États souhaitant maintenir une posture de neutralité stratégique, cette dépendance constitue un facteur de pression extérieur qui limite leur marge de manœuvre. Car la neutralité, pour être crédible, doit être associée à une certaine autonomie matérielle.

4.  Une vulnérabilité généralisée des États non alignés

Dans un monde où la plupart des infrastructures numériques sont concentrées entre les mains d’une poignée de puissances technologiques, la grande majorité des États sont placés en situation de vulnérabilité stratégique. Leur accès à l’Internet, leur capacité à héberger et protéger leurs données, à sécuriser leurs transactions économiques, à assurer la résilience de leurs réseaux, dépend d’acteurs extérieurs.

Cette vulnérabilité affaiblit non seulement la souveraineté, mais aussi la crédibilité de toute posture de neutralité. En cas de crise ou de conflit informationnel, l’État neutre peut voir ses canaux coupés, ses données captées, son espace informationnel déstabilisé. La neutralité devient alors une posture nominale, sans consistance opérationnelle.

5.  Vers une neutralité numérique active

Face à cette situation, il devient nécessaire de concevoir une nouvelle forme de neutralité : une neutralité numérique active. Celle-ci ne se définit plus par l’abstention, mais par l’action : développer des infrastructures souveraines, créer des normes nationales ou régionales de régulation, promouvoir des alternatives aux plateformes dominantes, construire des coalitions d’États pour défendre la gouvernance du cyberespace comme un bien commun mondial.

Une telle neutralité suppose aussi un travail diplomatique : appuyer les initiatives multilatérales pour la régulation du numérique (comme l’Appel de Paris, le Pacte numérique de l’ONU, ou les discussions sur la neutralité numérique à Genève), et affirmer que la souveraineté numérique est une condition non négociable de la paix.

En d’autres termes, dans le monde contemporain, la neutralité ne se proclame plus, elle se construit. Elle repose moins sur la distance aux conflits armés que sur la maîtrise des conditions techniques, économiques et informationnelles qui les rendent possibles ou évitables.

III. Plateformes numériques, guerre cognitive et érosion de la souveraineté populaire

Dans l’univers numérique contemporain, les enjeux de souveraineté et de neutralité ne se limitent plus aux infrastructures techniques ou à la maîtrise des ressources. Un champ d’affrontement encore plus subtil et décisif s’est imposé : celui du contrôle de l’information, de l’attention et de la cognition. Les grandes plateformes numériques, en particulier les GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon, Microsoft) à l’ouest, et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) à l’est, jouent un rôle structurant dans la production, la circulation et la hiérarchisation des contenus. Elles façonnent l’opinion, orientent les comportements, manipulent les émotions. En cela, elles participent à une forme de guerre cognitive permanente, qui remet en cause non seulement la souveraineté des États, mais aussi celle des peuples. La neutralité, dans ce contexte, ne peut être réduite à une non-participation militaire. Elle doit s’entendre comme la capacité d’un État à garantir à ses citoyens un espace informationnel stable, pluraliste et vérifiable.

1.Une souveraineté informationnelle confisquée

Les plateformes numériques concentrent une part considérable du pouvoir dans les sociétés contemporaines. Elles filtrent les contenus visibles, hiérarchisent les sources, modulent la visibilité des acteurs publics ou privés, collectent massivement des données comportementales qu’elles revendent ou utilisent à des fins de ciblage algorithmique. Leur puissance économique dépasse parfois celle des États : certaines capitalisations boursières de ces entreprises dépassent le PIB annuel de plusieurs pays d’Afrique ou d’Amérique latine.

Or, ces plateformes ne sont pas neutres. Elles obéissent à des logiques de profit, de captation de l’attention, voire à des logiques idéologiques. Elles exercent un pouvoir de plus en plus direct sur la structuration du débat public, sans être soumises aux mêmes contraintes que les institutions démocratiques. Cette situation crée une asymétrie profonde : les gouvernements sont responsables politiquement, mais les plateformes agissent sans mandat, sans transparence, sans responsabilité. La neutralité de l’espace public numérique est donc largement fictive.

2.  Guerre cognitive et manipulation de l’opinion

Le professeur James Giordano, neurobiologiste américain intervenu à West Point en 2017, a synthétisé cette transformation en une formule saisissante : « Le cerveau humain est le champ de bataille du XXIe siècle. » Cette formule traduit une réalité concrète : la guerre de demain ne se joue pas seulement dans les airs, sur terre ou en mer, mais dans les perceptions, les récits, les émotions. Elle passe par la désinformation, la polarisation, la radicalisation algorithmique.

Les exemples abondent. L’affaire Cambridge Analytica a révélé comment des millions de données personnelles d’utilisateurs de Facebook ont été utilisées pour influer sur les résultats électoraux aux États-Unis en 2016 ou lors de campagnes en Italie ou en Afrique. Les Printemps arabes, tout en exprimant des revendications légitimes, ont aussi été facilités, voire orientés, par des dynamiques informationnelles pilotées depuis l’étranger, notamment via des ONG, des plateformes ou des organes de renseignement.

Dès lors, la souveraineté populaire est mise en péril. Un peuple qui ne maîtrise pas l’information qu’il reçoit, qui n’a pas accès à des sources fiables, qui est manipulé par des boucles algorithmiques émotionnelles, ne peut exercer librement sa volonté politique. Or, une neutralité réelle implique précisément que la formation de la volonté générale ne soit pas biaisée par des puissances extérieures.

3.  L’IA comme instrument de domination invisible

L’intelligence artificielle, et plus particulièrement l’IA générative et les systèmes de recommandation, amplifient encore cette dynamique. Ces outils sont capables de produire des contenus massifs, de simuler des voix, des visages, d’orienter des décisions politiques, de cibler des populations à grande échelle. Ils sont utilisés tant à des fins commerciales que militaires, stratégiques ou de renseignement.

Certaines entreprises, comme Palantir ou Anduril, développent des technologies d’IA appliquées directement à la guerre, à la surveillance de masse ou à la sécurisation des frontières. En Israël, l’armée a récemment utilisé un système algorithmique nommé Habsora (l’Évangile) pour déterminer les cibles à frapper dans la bande de Gaza. En Ukraine, les États-Unis ont utilisé des systèmes de renseignement et d’analyse prédictive permettant d’anticiper les mouvements russes.

Dans ce contexte, la neutralité numérique d’un État n’est pas qu’un choix politique : elle est aussi une capacité technique à ne pas dépendre d’outils conçus pour servir des intérêts étrangers. L’alignement technologique crée mécaniquement un alignement stratégique.

4.  Repenser la neutralité à partir de la souveraineté cognitive

À travers ces différents exemples, on voit bien que la neutralité ne peut être seulement définie comme non-belligérance. Elle doit se concevoir comme la capacité à préserver l’autonomie cognitive d’un peuple et la stabilité informationnelle d’une société. Cela implique de penser une souveraineté cognitive, c’est-à-dire :

  • le droit à des infrastructures de communication libres et protégées,
  • l’accès à une information diversifiée et vérifiée,
  • la transparence des algorithmes qui modèlent les comportements collectifs,
  • l’éducation critique des citoyens face aux manipulations de masse.

Une telle souveraineté est une condition sine qua non pour une neutralité crédible. Un État qui ne peut garantir à sa population l’intégrité de son jugement politique ou la sécurité de son environnement informationnel est un État exposé, manipulable, instrumentalisable. Il ne peut prétendre à la neutralité, car il ne maîtrise pas les leviers fondamentaux de sa stabilité.

IV. Vers une neutralité numérique active : principes, instruments et horizons de coopération

La neutralité, si elle fut longtemps associée à l’abstention militaire dans les conflits armés, doit aujourd’hui être repensée comme un instrument de souveraineté numérique dans un monde interconnecté, traversé par des rivalités technologiques, des opérations de cyberguerre et une militarisation croissante de l’intelligence artificielle. Dans ce contexte, la neutralité numérique active ne consiste plus à se retirer du jeu international, mais à s’organiser pour ne pas être dominé. Elle devient ainsi une forme d’engagement stratégique au service de la paix.

Une telle approche repose sur trois dimensions essentielles : technique, normative et cognitive.

• Sur le plan technique, il s’agit de garantir un contrôle souverain sur les infrastructures critiques : data centers, réseaux, cloud, plateformes stratégiques.

• Sur le plan normatif, la neutralité consiste à co-construire les règles et standards internationaux du cyberespace, plutôt que de les subir.

• Sur le plan cognitif, elle implique de protéger l’espace informationnel national contre la manipulation, la désinformation et la polarisation algorithmique, afin de garantir un débat démocratique sain.

Pour rendre ces principes opérationnels, plusieurs leviers doivent être activés.

Tout d’abord, le principe de souveraineté technologique : il est nécessaire que chaque État puisse stocker, gérer et sécuriser ses données essentielles. Cela implique le développement de solutions locales (clouds souverains), la maîtrise des chaînes d’approvisionnement numériques et la réduction des dépendances stratégiques.

Ensuite, le principe de non-alignement numérique : dans un monde bipolaire dominé par les standards américains (GAFAM) et chinois (BATX), refuser l’alignement technologique devient une condition de l’autonomie. Cela suppose de maintenir une capacité d’arbitrage, d’investir dans des normes ouvertes, et d’éviter les enfermements systémiques.

Enfin, le principe de coopération multilatérale : aucune souveraineté numérique ne peut être construite dans l’isolement. La neutralité active exige au contraire une participation structurée aux enceintes internationales pour y défendre un ordre numérique ouvert, pacifié et équilibré.

Plusieurs initiatives récentes traduisent cette volonté de bâtir un cadre collectif de gouvernance :

• L’Appel de Paris pour la sécurité du cyberespace (2018), signé par plus de 70 États, entreprises et ONG, vise à établir des règles communes pour prévenir les comportements hostiles en ligne ;

• Le Pacte numérique mondial, porté par le Secrétaire général des Nations Unies, entend fixer des principes partagés sur la protection des droits numériques, l’IA responsable et la gouvernance éthique ;

• Le règlement DSA (Digital Services Act) de l’Union européenne et le projet Gaia-X illustrent une volonté régionale de reconquête numérique.

Dans cette perspective, la Suisse et Genève en particulier apparaissent comme des lieux stratégiques pour incarner cette neutralité active à l’échelle internationale. Par sa tradition de neutralité politique, son engagement en faveur du multilatéralisme et sa concentration unique d’organisations internationales, Genève s’affirme comme un véritable laboratoire de la gouvernance numérique mondiale.

On y trouve notamment :

– L’Union internationale des télécommunications (UIT), qui définit les normes techniques globales ;
– L’OMPI, active sur les questions de propriété intellectuelle numérique et d’IA ;
– La Geneva Internet Platform, espace de dialogue multiacteurs sur les normes et enjeux numériques ;
– Le CyberPeace Institute, qui défend une approche éthique de la cybersécurité ;
– Des débats émergents au sein de la Genève internationale sur une « neutralité numérique », inspirée du droit humanitaire, destinée à protéger les infrastructures critiques et les populations civiles lors des cyberconflits.

La Suisse pourrait donc jouer un rôle de médiatrice numérique, en promouvant des accords sur la non-ingérence dans les systèmes d’information, la protection des infrastructures civiles, la régulation de l’intelligence artificielle militaire et la garantie d’un accès équitable aux ressources numériques.

Cette voie, encore balbutiante, offre pourtant une perspective forte : redéfinir la neutralité non comme passivité, mais comme levier de construction d’un ordre numérique pacifié. C’est en défendant un modèle souverain, mais coopératif, que les États pourront opposer à la fragmentation actuelle un cadre fondé sur la pluralité, la sécurité collective et la paix.

Conclusion : Repenser la neutralité à l’âge numérique : une condition de souveraineté et de paix

Dans le monde analogique, la neutralité consistait à rester en dehors des guerres armées, à ne pas prendre part aux alliances militaires, à garantir une forme d’équilibre stratégique par le retrait volontaire. Mais dans l’univers numérique, où les conflits sont invisibles, diffus, permanents et sans frontières, cette logique ne suffit plus. La neutralité ne peut être un simple refus d’intervenir; elle devient une capacité à résister, à arbitrer, à structurer l’espace numérique selon ses propres normes.

Loin d’être un repli, la neutralité numérique est une affirmation souveraine. Elle suppose de pouvoir décider librement des infrastructures utilisées, des données protégées, des règles appliquées et des formes de coopération acceptables. Elle est inséparable d’une volonté politique, d’une autonomie technologique et d’une maturité juridique.

Elle est également un engagement pour la paix, car un ordre numérique non régulé, fragmenté et asymétrique ne peut conduire qu’à l’escalade, à la désinformation et à la déstabilisation durable des sociétés.

Dans cette optique, la neutralité numérique active apparaît non pas comme une posture d’indifférence, mais comme une contribution stratégique à la stabilité mondiale. Elle articule souveraineté et responsabilité, autonomie et coopération. Elle doit désormais devenir un axe central de toute politique étrangère et de tout projet diplomatique contemporain.

Il est temps de reconnaître que la souveraineté numérique est la condition moderne de la neutralité, et que la neutralité, dans son sens actif, est l’un des derniers remparts contre la guerre numérique généralisée.

Hicheme Lehmici, analyste géopolitique, Chargé de cours à lUMEF.

Pour le Colloque international sur la neutralité : un appel à l'action pour une neutralité active et la paix mondiale, Genève, 26-27 juin 2025

Recherche et analyse
July 22, 2025
Le «present» de la neutralite, et son avenir
Martin Chodron de Courcel, Professeur de philosophie

Je voudrais, pour évoquer ce principe de neutralité, commencer par dire qu’il faut être sensible à l’allure de l’Histoire. Cette allure de l’Histoire me semble marquée par une oscillation permanente entre des élans contradictoires. Si vous m’y autorisez je dirais volontiers que l’Histoire oscille en permanence entre des élans « iréniques » et des élans « polémiques ». 

Par élan irénique j’entends des moments favorables à l’idée de paix (c’est-à-dire le silence des armes) et par élan polémique j’entends ces moments où la politique laisse la place à la guerre. 

Il est clair que nous sommes dans un élan polémique, alors que la période historique que j’évoquerai tout à l’heure, qui a vu la création de la Société des Nations et plus tard la naissance de l’ONU, était un élan irénique. 

La condition de possibilité de la justice c’est l’existence d’un tiers dans un différend, or ce tiers est absolument différent des partis engagés dans leur différend. 

Le monde a besoin d’arbitre, il a besoin d’arbitrage. Quelle meilleure situation, pour rendre un arbitrage, que de le placer dans un espace neutre ?

Si la neutralité n’existait pas, il faudrait l’inventer. Or elle existe. Je voudrais, en quelques mots, cerner cette existence, et contribuer à rappeler son importance. 

Le principe de neutralité repose sur la mise à l’écart d’un axiome qui nous vient de loin, puisqu’il nous vient de Rome.

Quel est cet axiome ?

« Qui n’est pas avec moi est contre moi ». On en trouve la trace chez Tite-Live – « repousser l’alliance des Romains serait faire acte de folie  : il faut en faire des amis ou des ennemis. Choisissez » .

Cet axiome, que l’on pourrait aussi qualifier d’axiome du tiers exclu, repose sur une idée simple : dans la guerre l’indifférence est exclue, le monde se limite au partage ami/ennemi, une tierce position n’a pas lieu d’être.

C’est aussi l’émergence d’une autre idée simple : dans la guerre, pour s’en sortir, il faut élaborer des alliances. Or qu’est-ce qu’une alliance ? , c’est, si l’on peut dire, le lieu par excellence, de la fabrication du principe du tiers exclu.

Si la guerre est la politique continuée par d’autres moyens, alors la guerre vérifie le quasi réflexe qui est au cœur de la politique, le réflexe parfaitement formulé par un philosophe français, Gaston Berger, le père de Maurice Béjart, formulation qui se trouve dans le journal de Béjart, qu’il avait croisé avec celui de son père (la Mort subite)

Nous pouvons y lire ceci :

-       Un homme : l’ennui

-       Deux hommes : ‘la guerre

-       Trois hommes : la politique

La politique commence avec le jeu des alliances, deux hommes se liguent contre un troisième.

Le principe d’exclusion est en marche, une position neutre est par là-même exclue.

Guerres et alliances peuvent être considérées comme des invariants anthropologiques.

Le principe de neutralité n’a donc pas de racine anthropologique, c’est sa faiblesse, mais c’est aussi sa force.

Sa faiblesse, car il ne parle pas vraiment aux humains que nous sommes. Être humain c’est être partial. Ce n’est pas l’égoïsme individuel qui est à la racine de nos actions, c’est la volonté de protéger les siens, les miens d’abord, les autres après. 

Dit autrement : spontanément nous sommes injustes car la justice ne fait pas acception des personnes. D’où sa figuration avec les yeux bandés.

« Le phénomène « Droit » existe chaque fois qu’a lieu l’intervention d’un tiers désintéressé ».

Ce tiers désintéressé intervient de façon impartiale aimait à dire Alexandre Kojève.

Et cette position de tiers désintéressé et impartial n’est jamais bien acceptée contrairement à ce que l’on pourrait croire. 

Le principe du contradictoire, qui est au cœur du droit et de la justice, exige un rituel qui n’a rien de naturel.

Le principe de neutralité, en ce sens, ressemble au droit, car il repose sur le présupposé de la possibilité de la position d’un tiers.

Voilà pourquoi cette faiblesse apparente du principe de neutralité - il n’a pas de fondement anthropologique – est en réalité sa force.

C’est un principe qui surgit dans l’histoire, l’ancien juge à la Cour Internationale de Justice, Isidro Fabela, insistait sur ce fait historique que « la neutralité est un concept juridique moderne ». 

Et il en proposait une définition succincte : « la neutralité est la situation juridique d’un Etat à l’égard de deux ou de plusieurs belligérants, selon laquelle il ne participe pas à la guerre et n’aide aucun des combattants ». 

Ce parti pris de non-participation, ce parti pris de non parti pris, provoque aussitôt des résistances. 

Ce que disait Luc De Meuron en 1946 ( Notre Neutralité) n’a rien perdu de son actualité : « depuis le Congrès de Vienne, notre pays se refuse à faire l’histoire, à participer à la grande mêlée de larmes et de sang où s’effondrent les empires et où naissent « des lendemains qui chantent ».

Il a renoncé à la guerre et a sacrifié pour la Paix son besoin de grandeur. 

S’il continue à affirmer sa vitalité et sa foi à l’intérieur de ses frontières, il commet à d’autres le soin enivrant de forger le destin du monde… ». 

Toutes les fois que se pose le problème de notre neutralité, la Suisse connait aussi un drame intérieur qui la bouleverse moralement parce qu’elle a peur d’être lâche.

Elle oublie simplement qu’en se voulant neutre, elle reste seule dans le heurt des passions et le fracas des batailles. 

En se faisant reconnaitre un statut de neutralité perpétuelle, notre pays assume devant l’histoire, le rôle ingrat, mais combien noble, de l’objecteur de conscience qui, pour toujours, a dit non à la guerre ».

Que retenir de ce petit texte de 1946  que Luc de Meuron présentait comme un « avant propos » pour sa réflexion sur « Notre neutralité » ?

La Suisse par son choix de la neutralité s’expose assez régulièrement, pour ne pas dire fréquemment, au « drame intérieur », le drame d’un pays qui a peur d’être lâche. 

En se tenant à distance des grandes mêlées de larmes et de sang où s’effondrent les empires, la Suisse a accepté, par là-même, d’assumer le rôle ingrat d’un pays qui soulève des objections face au cours de l’histoire.

Rôle ingrat parce que la reconnaissance se fait toujours attendre.

Enfin, le plus important tient au titre de son livre « Notre neutralité ».

La neutralité suisse n’est pas une neutralité parmi d’autres, elle a quelque chose d’unique. Et c’est cette singularité qui la fait bien souvent méconnaitre. 

Tout se résume, sans doute, dans ce petit mot lourd de sens : «  perpétuelle ». 

Il est assez remarquable que cette peur redoutée d’être tenue pour lâche ressurgisse dans un colloque en septembre 1983.

Louis-Edouard Roulet introduisant les actes du colloque international sur les Etats neutres européens et la seconde guerre mondiale, organisé par les universités de Neuchâtel et de Berne en septembre 1983, remarquait ceci : « la guerre, pour effroyables qu’en soient les manifestations, retient par ses aspects épiques, dramatiques voire tragiques, l’attention et des contemporains et de la postérité. A côté du fracas des armes et de la misère des hommes, la neutralité se révèle peu spectaculaire. Bien qu’elle corresponde essentiellement à une volonté pacifique et qu’elle prétende à une philosophie du droit international qui préfèrerait régler les différends par un arrangement négocié, elle n’est pas à proprement parler populaire, sauf pour les ressortissants contemporains d’un pays qui en bénéficie.  Celui qui est engagé dans un combat dont l’issue ne le concerne pas seulement à titre personnel, mais dont il pense qu’elle déterminera la survie du pays auquel il appartient, n’a que peu de considération pour ceux demeurés à l’écart, à l’abri des coups et dont l’attitude lui paraitra généralement complice d’une forme de lâcheté ».

J’évoquais la figure d’Isidro Fabela, il remarque que « la neutralité perpétuelle, volontaire et intégrale de la Confédération helvétique, est un cas unique dans l’Histoire du Droit international moderne ». 

Or, un cas unique brouille le jeu des comparaisons, voire rend les comparaisons impossibles. Elle dessine surtout une vocation, et une vocation a besoin de se conforter, de se réconforter car elle ne peut compter que sur elle-même.

Une telle vocation a des ennemis et ces ennemis ne sont pas nécessairement infréquentables.

Le diplomate, Nicolas Politis (1872 – 1942) dans un petit livre la Neutralité et la paix (1935) où il s’interroge sur l’avenir de la neutralité dans son rapport à l’organisation de la paix, ouvre sa réflexion par une citation du grand juriste Antoine Loysel (1536 – 1617) « qui peut et n’empêche pèche ».

C’est donner beaucoup de pouvoir au pouvoir, il faudrait dire à la puissance, et c’est condamner par principe une politique de l’abstention, à la faveur d’un principe d’ingérence. 

D’ailleurs, dans son ouvrage, Nicolas Politis considère que la neutralité n’est plus de saison :

« la neutralité est née et s’est développée comme un produit de l’anarchie internationale dans un monde où les Etats avaient la prétention d’exercer sans le moindre contrôle un pouvoir souverain illimité où ils avaient le droit absolu de guerre, où ils ne connaissaient aucun système régulier de justice, où l’interdépendance de leurs intérêts ne pouvait être conçue que comme une spéculation de l’esprit, où enfin leur communauté était dépourvue de toute organisation ». 

Voilà, pour Nicolas Politis, les conditions historiques qui pouvaient expliquer et justifier la neutralité.

Cette liste des conditions favorables à la neutralité a été dressée en Janvier 1935.

Or, pour Nicolas Politis, l’émergence de la Société des Nations (S.D.N.) basée à Genève et qui durera 26 ans, change totalement la donne et conduit au « déclin de la neutralité ».

«En droit, la neutralité a cessé d’être une institution. Mais le droit est ici en avance sur les habitudes, sur les croyances, sur les faits ». 

Et reprenant la maxime de Loysel placée en exergue de son livre « qui peut et n’empêche pèche », il considère que si cette maxime « n’a plus guère de valeur en droit interne, elle en conserve une, et bien grande, en droit international...

La maxime de Loysel traduit si bien un besoin primordial de la vie des peuples qu’elle mérite d’être répandue comme un mot d’ordre qui doit pénétrer profondément dans la conscience des hommes civilisés pour inspirer et guider la conduite de tous les gouvernements. C’est pourquoi elle a été placée en exergue du présent ouvrage ». 

Nicolas Politis était un ennemi de la neutralité parce qu’il était un ami du droit international et de la justice internationale. 

Si la mise hors la loi de la guerre par le pacte de Paris devenait une réalité historique « condamné dans son principe par le pacte de Paris, ne pouvant plus servir l’intérêt bien entendu des nations, le régime traditionnel de la neutralité devait être délibérément abandonné ». 

Je rappelle que par « Pacte de Paris » on entend le pacte Briand-Kellog qui est un traité de paix signé en 1928 et qui condamne le recours à la guerre pour régler les différends entre les Etats.

On touche ici aux limites du droit, car le droit est l’art des solutions.

La Société des Nations était une solution, tout comme l’ONU sera une nouvelle solution.

Les solutions ont toutefois un inconvénient, elles cherchent à être la bonne réponse à une question, que celle-ci soit bien ou mal posée.

Mais la neutralité est-elle une solution ? Et si elle est une solution alors qu’elle était la question ? Les solutions ont une histoire, elles ne sont jamais définitives, elles sont provisoires. La neutralité perpétuelle qui écarte audacieusement la tentation du provisoire, n’est pas une solution elle est une position. Une position issue d’une prise de position. Or une position n’est pas une réponse, c’est une instauration. On ne répond pas à une interpellation du passé, on instaure un avenir. 

On cherche, par avance, à répondre de l’avenir. Cette position, je le disais, est rarement comprise. Les peuples ont pris le goût aux ingérences, ils finissent par perdre de vue leurs combats pour l’autodétermination. 

J’évoquais Luc de Meuron et son livre Notre neutralité. Il se trouve qu’un an plus tôt, en 1945, un certain Winston Churchill rencontrait à Paris une figure que tous les Suisses connaissent, Carl J. Burckhardt. Cette rencontre est racontée par Max Petitpierre, il vaut la peine de le citer : «Votre neutralité, je n’en connais pas l’historique, mais elle nous a rudement servi au point de vue stratégique. Elle est une nécessité, ou plutôt elle a été une nécessité, car la prochaine fois, si nous ne réussissons pas à l’éviter, plus rien ne tiendra, aucune loi internationale. Ce ne sera qu’alors que nous connaitrons la guerre totale. ». 

«Carl Burckhardt n’était pas à Paris seulement comme observateur. Il devait aussi donner une image de la Suisse et de ses réalités. Historien et Européen, il pouvait présenter la neutralité suisse comme une des constantes de la politique européenne et défendre la politique qui en découlait et qui, comme on le sait, n’était pas très populaire dans les pays qui avaient été entrainés dans la guerre, et en particulier en France. 

On se souvient que l’hostilité française à notre neutralité c’était manifestée à la conférence de San Francisco de 1945 où la délégation française proposa qu’on introduisit dans la Charte des Nations Unies une disposition selon laquelle il y avait incompatibilité entre la neutralité et la qualité de membre de la nouvelle organisation ». 

La chasse aux incompatibilités est une chasse perpétuellement ouverte, son arme favorite est l’intimidation. Ce que rapporte Max Petitpierre, à l’occasion de la mission à Paris de Carl J. Burckhardt, nous donne à voir à quel point la neutralité perpétuelle de la Suisse est régulièrement « en question ». Mais ce que montre l’histoire de la Suisse est que sa neutralité perpétuelle est « hors de question », en dehors d’un questionnement en amont de toute question. 

Conclusion 

Qu’est-ce que la neutralité ? la neutralité n’est pas l’effet d’une neutralisation subie, et qui écarterait ainsi un pays de l’histoire vivante, même si une telle neutralité existe bien dans certains pays. La neutralité, telle que nous la voyons à l’œuvre dans la neutralité perpétuelle reconnue à la Suisse, est d’un autre ordre.

C’est à la langue latine d’en demander le sens profond. L’adverbe « neutro » signifie « vers aucun des deux côtés », « neutrum » cela veut dire « ni l’un ni l’autre». On retombe ainsi sur l’axiome romain, qu’elle écarte d’entrée de jeu, qui n’est pas avec moi est contre moi. La neutralité lui répond :

«je ne suis ni avec toi ni avec ton meilleur ennemi, je suis résolument indifférente à ta mauvaise querelle. Mais ne t’inquiète pas car je m’active dans mon coin pour préparer ta prochaine négociation, qu’aujourd’hui tu refuses mais que demain tu imploreras.

Je ménage une place à l’aménité pour libérer le monde de ton enfer du comminatoire ».  

Martin Chodron de Courcel, Professeur de philosophie

Pour le Colloque international sur la neutralité : un appel à l'action pour une neutralité active et la paix mondiale, Genève, 26-27 juin 2025

Recherche et analyse
July 21, 2025
Pré-Congrès intranational pour la neutralité
Centre de Genève pour la neutralité
Les 26 et 27 juin s'est tenu à Genève un colloque international sur le thème « Un appel à l'action pour une neutralité active pour la paix mondiale ».

Le symposium a réuni près de 90 participants, venus de 27 pays représentant tous les continents. Organisé sous les auspices du Centre pour la neutralité de Genève (GCN), le symposium a marqué une étape cruciale dans l'effort mondial visant à redéfinir le rôle de la neutralité au 21e siècle. Il faisait suite au Congrès international sur la neutralité de 2024 à Bogotá et a servi de plateforme préparatoire pour le prochain Congrès prévu pour 2026 – avec Genève parmi les villes hôtes potentielles.
 
Les participants se sont mis d'accord sur une déclaration énumérant les défis actuels à la paix dans le monde, ainsi qu'un plan d'action visant à
  • Promouvoir le principe de neutralité en tant que méthode de promotion de la paix.
  • Etablir des plates-formes d'action dans le monde entier pour arrêter la guerre à travers une neutralité active. Dans ce contexte, nous lançons un réseau international d'acteurs engagés en faveur de la neutralité, agissant également comme un observatoire permanent des pratiques mondiales en matière de neutralité.
  • Rédiger une déclaration des Nations Unies sur la neutralité active dans le domaine numérique et cybernétique, dans le but de parvenir à un traité international sur la neutralité à l'ère numérique, garantissant un cadre normatif durable pour la paix numérique.
  • Lancer un Swiss Digital Neutrality Label, une nouvelle référence pour les nations et les organisations qui s'efforcent de disposer d'écosystèmes numériques fiables, sécurisés et résilients.
  • Revendiquer la souveraineté et le non-alignement comme référents de la neutralité
 Ce programme ambitieux a été façonné avec la contribution d'experts de premier plan en diplomatie, en cybersécurité, en droit international et en gouvernance numérique, qui ont été spécifiquement invités à explorer des voies innovantes vers la neutralité technologique et une infrastructure numérique souveraine.

Les participants voient la neutralité comme la pierre angulaire d'un cadre de gouvernance mondiale qui harmonise les impératifs de la paix, du climat et du développement.
 
 
June 29, 2025
Un appel mondial pour la neutralité active lancé depuis Genève
www.swissinfo.ch

Plusieurs acteurs ont lancé un appel mondial à Genève pour la neutralité active au moment les grandes puissances durcissent le ton. La ville est en compétition avec Vienne pour attirer un Congrès international sur cette question en 2026.

(Keystone-ATS) Au terme de deux jours d’une réunion qui a rassemblé 90 experts de la diplomatie, du droit international et du numérique de 27 pays à Troinex (GE) et en ligne, une déclaration publique et un plan ont été approuvés vendredi. D’ici fin 2026, l’objectif est de lancer un Réseau international sur la neutralité qui observera les pratiques des différents acteurs.

D’ici 2030, une Déclaration de l’ONU sur la neutralité active dans l’écosystème numérique et un label sont souhaités. Et un accord international contraignant pour la neutralité à l’ère numérique devra suivre à plus long terme.

Les confrontations entre grandes puissances provoquent de plus en plus de tensions. Alertant sur une « urgence », la déclaration publique relève que la neutralité ne signifie pas « l’indifférence ».

Celle-ci doit contribuer à la prévention et la résolution des conflits, de même qu’au désarmement et au basculement des dépenses militaires vers les investissements sociaux et écologiques. Et éviter une militarisation de l’intelligence artificielle (IA). La demande est lancée alors que les pays de l’OTAN ont décidé l’augmentation à 5% de leur Produit intérieur brut (PIB) de leur financement militaire.

Après Bogota

Face à cette situation, « nous pensons que Genève et les espaces neutres en général jouent un rôle essentiel pour favoriser le dialogue, rechercher la vérité et défendre l’intérêt général », a affirmé à Keystone-ATS le président du Centre de Genève pour la neutralité, Nicolas Ramseier.

Il faut s’interroger « sur notre neutralité suisse, dite active, et, plus largement, sur le rôle que peuvent jouer les autres Etats neutres », ajoute-t-il. Et d’insister sur le fait que « plus la fragmentation et la méfiance s’accroissent, plus la demande de zones neutres, transparentes et sécurisées, tant physiques que numériques, devient forte ».

Mais il devient plus difficile de faire accepter « une position neutre », admet M. Ramseier. Son centre a été précisément établi dans cette période « de critiques, de malentendus et de réinterprétations », notamment contre la Suisse. « Nous devons repenser la neutralité », « comme une posture proactive et structurée », et l’adapter aux défis technologiques du 21e siècle, estime le président.

Après Bogota l’année dernière, le Congrès international sur la neutralité pourrait être organisé en juin 2026 à Genève. Des centaines de dirigeants, académiques ou membres de la société civile devraient participer.

https://www.swissinfo.ch/

 

Articles et actualités du GCN
June 7, 2025
Conférence du GCSP sur la dimension internationale de la neutralité
Centre pour la Neutralité de Genève

La conférence « La dimension internationale de la neutralité – Un débat sur la sécurité à Genève », organisée par le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) en collaboration avec la Mission permanente du Turkménistan et le Centre de politique de sécurité de Genève, s'est tenue le 5 juin et a suscité un vif intérêt parmi les chercheurs, les diplomates et les représentants des organisations internationales à Genève.

La table ronde de haut niveau a été ouverte par l'ambassadeur Thomas Greminger, directeur exécutif du GCSP, qui a souligné l'importance de la neutralité dans un monde de plus en plus fragmenté. Il a exploré ses dimensions internationales sous différents angles, notamment le non-alignement, le multi-alignement et la neutralité positive.

Le rôle de la neutralité active du Turkménistan a été souligné par S.E. M. Hajiev, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Turkménistan, et S.E. M. Shiri Shiriyev, directeur des études stratégiques à l'Institut des relations internationales du ministère des Affaires étrangères du Turkménistan.

Parmi les intervenants figuraient S.E. M. Christian Guillermet Fernández, Représentant permanent du Costa Rica auprès de l'Office des Nations Unies à Genève ; S.E. M. Jamal Jama Al Musharakh, Représentant permanent des Émirats arabes unis auprès de l'Office des Nations Unies à Genève ; S.E. Dr Anupam Ray, Représentant permanent de l'Inde auprès de la Conférence du désarmement ; et Jean-Daniel Ruch, Président du Centre pour la neutralité de Genève. La discussion a porté sur la manière dont les États gèrent la pression croissante pour prendre parti tout en s'efforçant de préserver leur autonomie stratégique. Le panel a également réfléchi au potentiel de la neutralité pour soutenir la stabilité mondiale et le dialogue dans un contexte d'escalade des tensions géopolitiques.

Chacun des quatre pays représentés a partagé sa propre approche de la neutralité :

Le Costa Rica prône une neutralité non armée, s'appuyant sur des relations diplomatiques solides avec les pays voisins pour résoudre les différends. Le pays est fier de son service diplomatique actif et de ses contributions à la diplomatie multilatérale sous un statut de neutralité.

Les Émirats arabes unis, situés au carrefour de l'Orient et de l'Occident, mènent une politique étrangère adaptative qui reflète une forme de neutralité pragmatique. Tirant parti de leurs ressources, les Émirats arabes unis cherchent à favoriser la prospérité nationale par le biais de partenariats internationaux de grande envergure. Leur participation aux accords d'Abraham souligne leur engagement en faveur de la paix.

L'Inde, vaste nation de plus en plus influente, maintient une approche particulière de la neutralité. Sa politique permet de participer à des alliances tout en restant non alignée, ce qui lui permet d'adopter une approche équilibrée face aux futures dynamiques de pouvoir mondiales.

La Suisse entretient une longue tradition de neutralité armée. Réputée pour ses contributions humanitaires et ses efforts de médiation, la Suisse considère la neutralité à la fois comme un élément fondamental de l'identité nationale et un instrument clé de sa politique étrangère. Comme l'a expliqué Jean-Daniel Ruch, « la neutralité suisse a deux dimensions : à l'intérieur, elle fait partie de l'identité suisse ; à l'extérieur, elle permet à la Suisse d'agir comme médiateur et partenaire prévisible et non menaçant. Pour préserver la neutralité suisse, trois éléments doivent être préservés : le droit de la neutralité, la politique de neutralité et la perception de la neutralité. Dans le monde polarisé d'aujourd'hui, nous devons envisager la formation d'une coalition d'États constitutionnellement neutres, non alignés et multialignés.»

Les quatre pays ont reconnu bénéficier, à des degrés divers, du parapluie sécuritaire des puissances occidentales. Néanmoins, ils cherchent à consolider leurs positions en soutenant le droit international humanitaire, en résistant aux pressions extérieures et en promouvant la diplomatie multilatérale. Collectivement, ces États ont exprimé le souhait de voir le concept de neutralité évoluer et se développer dans le cadre des relations internationales.

April 4, 2025
Neutralité permanente : un modèle de paix, de sécurité et de justice
Herbert R. Reginbogin, Pascal Lottaz

Il existe de nombreux modèles possibles pour apporter la paix, la sécurité et la justice dans le monde. L’un d’eux est l’empire ou l’hégémonie : placer une seule puissance aux commandes. Une autre solution est la gestion partagée des grandes puissances, sur le modèle de https://neutralitystudies.com/books/permanent-neutrality/Concert de l'Europe du XIXe siècle. Un autre problème est l’équilibre des pouvoirs. Les juristes internationaux sont particulièrement attirés par l’ordre instauré par l’adhésion à un ensemble de normes universelles... La liste pourrait être allongée plus ou moins indéfiniment. La présente discussion portera sur l’interaction et les contrastes entre deux stratégies particulières : la neutralité permanente et la sécurité collective.

August 2, 2025
Neutralité numérique, souveraineté et guerre cognitive à l’ère de l’IA militarisée
Hicheme Lehmici, analyste géopolitique

Introduction : Vers une redéfinition de la neutralité à l’âge numérique

Dans l’histoire des relations internationales, la neutralité est traditionnellement définie comme la position d’un État qui choisit de ne pas participer à un conflit armé entre d’autres États, et qui s’abstient d’apporter un soutien militaire direct ou indirect à l’un des belligérants. Ce statut implique des droits, mais aussi des devoirs, codifiés notamment dans les Conventions de La Haye de 1907, qui imposent aux États neutres des obligations de non-participation, d’impartialité, de refus du transit de troupes, et de respect du territoire.

La neutralité repose donc sur un prérequis fondamental : la souveraineté. Selon la conception classique de Jean Bodin, la souveraineté est la puissance absolue, perpétuelle et indivisible exercée par l’autorité suprême d’un État sur un territoire et une population. Elle implique deux dimensions :

  • une souveraineté interne, soit la compétence exclusive sur les affaires intérieures ;
  • une souveraineté externe, soit la liberté de ne pas se soumettre à une autorité supérieure dans les relations internationales.

Ce principe est juridiquement consacré à l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies (1945) :

« L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. »

La neutralité suisse, inscrite dans sa Constitution et reconnue par le droit international, incarne historiquement ce lien entre souveraineté et neutralité : un État qui, fort de son autonomie stratégique, choisit de ne pas s’aligner militairement, tout en assumant un rôle de médiation et de garantie de la paix.

Mais à l’ère du cyberespace, de la militarisation de l’intelligence artificielle et de la guerre cognitive, ce modèle classique est remis en question. Un État dont les infrastructures numériques sont hébergées à l’étranger, dont les flux d’informations sont captés par des puissances tierces, ou dont l’opinion publique est influencée par des plateformes transnationales, peut-il encore revendiquer une réelle souveraineté ? Peut-il encore prétendre à la neutralité ?

Dans cette nouvelle configuration technopolitique, la neutralité n’est plus simplement militaire ou diplomatique : elle devient numérique, informationnelle, cognitive, et touche au bien commun mondial, entendu comme :

  • l’intégrité des données publiques et privées,
  • la sécurité des réseaux et des systèmes critiques,
  • la fiabilité des contenus circulant dans l’espace informationnel partagé.

Il devient donc urgent de repenser la neutralité comme une stratégie active, à l’heure où les conflits ne sont plus seulement territoriaux, mais systémiques. Une neutralité numérique active implique de défendre sa souveraineté technologique, de participer à la gouvernance des communs numériques, et de garantir la stabilité cognitive de ses citoyens dans un monde dominé par les algorithmes, la désinformation et l’intelligence artificielle.

I. De la souveraineté classique à la souveraineté numérique

La neutralité, dans le droit international classique, est indissociable de la souveraineté. Elle suppose qu’un État soit pleinement libre de ses choix en matière de relations extérieures, c’est-à-dire non soumis à une autorité étrangère. Ainsi, la neutralité n’est pas une faiblesse ou un repli, mais une expression de la souveraineté : celle de pouvoir décider de ne pas prendre part à un conflit, de ne pas aligner sa politique étrangère sur celle d’un autre État, et de préserver son autonomie de décision.

Mais depuis l’avènement du cyberespace et de la numérisation systémique des sociétés, cette souveraineté, condition même de la neutralité, est fragilisée. Car il ne suffit plus de posséder un territoire et une armée pour être neutre : encore faut-il maîtriser ses données, ses réseaux, ses outils de communication, ses ressources numériques. Une neutralité numérique n’est possible que si la souveraineté numérique est effective. Il devient donc essentiel de comprendre comment la souveraineté s’est transformée, et pourquoi cela oblige à repenser ce que signifie être neutre aujourd’hui.

1.La souveraineté comme fondement de la neutralité classique

La souveraineté est la pierre angulaire du système international. Depuis les traités de Westphalie (1648), elle désigne le droit d’un État à exercer un pouvoir exclusif sur son territoire et sa population, sans intervention extérieure. Jean Bodin en donne une définition fondatrice dans Les Six Livres de la République (1576) : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République. » Elle repose sur trois fondements : un territoire délimité, une population reconnue, une autorité politique suprême, dotée du monopole de la loi et de la coercition.

Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau approfondit cette notion en y intégrant la souveraineté populaire, c’est-à-dire le pouvoir du peuple de se gouverner lui-même, par la volonté générale, inaliénable et indivisible. La souveraineté devient ainsi à la fois juridique et démocratique.

Dans le droit international contemporain, cette double dimension est reconnue par la Charte des Nations Unies (1945), dont l’article 2, paragraphe 1, pose : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. »

La souveraineté est ainsi considérée comme un droit fondamental des États, garant de leur liberté d’action, mais aussi de leur responsabilité. Elle constitue le socle de toute politique étrangère, y compris celle qui consiste à revendiquer une neutralité : sans souveraineté, il n’y a pas de neutralité possible.

2.  Le cyberespace : un défi à la souveraineté, une menace pour la neutralité

Le cyberespace (cet espace d’échange, de traitement et de stockage de l’information à l’échelle mondiale) échappe en grande partie au contrôle des États. Il est structuré par : des infrastructures transnationales (câbles sous-marins, data centers, satellites), des normes techniques fixées par des entités non gouvernementales (ICANN, IETF), des plateformes privées qui régulent l’accès à l’information (Google, Meta, Amazon, etc.).

Dans un tel environnement, l’État perd une partie de sa souveraineté fonctionnelle, et donc de sa capacité à maintenir une neutralité effective. Car comment être neutre lorsqu’on dépend structurellement d’un acteur étranger pour accéder à Internet, stocker des données sensibles, ou simplement communiquer ?

Autrement dit : la neutralité numérique présuppose une souveraineté numérique. Sans autonomie sur ses flux, ses données, ses réseaux, l’État est vulnérable aux pressions extérieures (politiques, économiques, voire militaires) même sans qu’aucune guerre ne soit déclarée.

3.  Du monopole régalien au pouvoir partagé : une souveraineté fragmentée, une neutralité compromise

Autrefois, l’État était le seul maître des infrastructures critiques : armée, monnaie, diplomatie, poste, énergie, information. Aujourd’hui, la plupart des fonctions numériques sont contrôlées par des acteurs privés. Les grandes plateformes comme Google ou Microsoft hébergent les communications diplomatiques de nombreux gouvernements, tandis que les outils de traitement de données (cloud, IA, algorithmie) sont souvent conçus à l’étranger.

Cela signifie que l’État n’a plus les moyens de garantir sa propre neutralité numérique, puisque ses systèmes de décision et d’information sont en partie exposés à des puissances ou entreprises tierces. Cela le rend objectivement dépendant … donc, politiquement vulnérable.

De plus, la souveraineté populaire, c’est-à-dire la capacité d’un peuple à décider librement de son avenir, est elle aussi affectée. Les citoyens n’évoluent plus dans un espace public régulé par l’État, mais dans des environnements numériques filtrés par des algorithmes opaques. Or la neutralité implique aussi une autonomie cognitive collective : un peuple manipulé ne peut être neutre.

4.  Le paradoxe suisse : neutralité diplomatique, dépendance numérique

La Suisse demeure l’un des rares pays à revendiquer une neutralité intégrale. Pourtant, sur le plan numérique, elle n’échappe pas à la logique de dépendance : elle utilise des plateformes étrangères pour ses services publics ; ses universités sont hébergées en partie sur des clouds transnationaux ; ses communications sont souvent soumises à des normes techniques conçues hors de son territoire.

Cette situation révèle une disjonction entre neutralité politique et dépendance technologique. Elle illustre un paradoxe majeur: on peut être neutre en droit et dépendant en fait.

Ce constat nous amène à une première conclusion essentielle : la neutralité n’est plus un simple refus de guerre. Elle devient une capacité stratégique à défendre son autonomie dans un monde interconnecté. Cela suppose de penser la neutralité numérique comme un prolongement de la souveraineté, et non comme un repli ou une soustraction.

La neutralité numérique active implique dès lors : la maîtrise nationale ou régionale des infrastructures stratégiques ; la capacité à résister aux influences normatives extérieures ; et la défense du bien commun cognitif, condition d’une neutralité crédible.

II. Infrastructures numériques et dépendance stratégique : une neutralité fragilisée

L’un des fondements de la souveraineté réside dans la maîtrise des infrastructures vitales. Cela inclut non seulement les institutions politiques et les forces armées, mais aussi, à l’ère contemporaine, les réseaux de communication, les centres de données, les systèmes de traitement de l’information, et les standards techniques qui en régulent l’usage. Dans l’univers numérique, ces infrastructures déterminent non seulement la capacité d’un État à protéger ses citoyens et son territoire, mais aussi à contrôler l’information, à préserver la confidentialité, à protéger son économie et à faire valoir ses choix stratégiques. Or, dans la configuration actuelle, de nombreux États, y compris des puissances moyennes ou avancées, n’ont plus de contrôle réel sur ces systèmes fondamentaux. Cette dépendance structurelle remet directement en cause la possibilité d’exercer une neutralité effective.

1.Une domination américaine sur les infrastructures critiques de l’Internet

Depuis les origines d’Internet, les États-Unis exercent une domination sans précédent sur les principales infrastructures du réseau. Les câbles sous-marins, qui assurent plus de 95 % du trafic mondial de données, sont en grande majorité posés, financés ou contrôlés par des entreprises américaines, comme Google, Meta, Amazon ou Microsoft. Les principaux points d’échange Internet (IXPs), les data centers stratégiques et les services de cloud public à l’échelle planétaire sont eux aussi entre les mains d’acteurs soumis au droit américain.

À cette emprise infrastructurelle s’ajoute une emprise juridique : depuis le Patriot Act (2001) et le CLOUD Act (2018), les autorités américaines peuvent accéder aux données stockées sur les serveurs d’entreprises relevant de leur juridiction, y compris lorsque ces données sont physiquement hébergées à l’étranger. Dès lors, l’extraterritorialité du droit américain transforme les États tiers en territoires partiellement contrôlés à distance.

Cette situation crée une dépendance structurelle qui fragilise directement la souveraineté numérique des États, et rend toute posture de neutralité difficilement crédible. Comment un État pourrait-il prétendre à la neutralité, si ses données stratégiques sont hébergées par une puissance susceptible de les consulter ou de les bloquer en cas de désaccord politique ?

2.  L’affaire Snowden : révélation d’une souveraineté affaiblie

Les révélations d’Edward Snowden, ancien analyste de la NSA, en 2013, ont mis en lumière l’ampleur des dispositifs de surveillance électronique déployés par les États-Unis. En exploitant leur position centrale dans l’architecture de l’Internet mondial, les agences américaines ont pu intercepter des milliards de communications, y compris entre chefs d’État, institutions internationales, entreprises stratégiques et citoyens ordinaires.

Cette capacité de surveillance planétaire, fondée sur l’accès aux câbles sous-marins, aux centres de données, aux plateformes de messagerie ou de stockage, a démontré que la souveraineté de nombreux États était devenue théorique. Elle a aussi révélé que dans le champ numérique, les rapports de force ne sont pas équilibrés. La neutralité, dans ce contexte, devient non seulement difficile, mais vulnérable, car l’État neutre peut être espionné, manipulé ou désinformé sans même avoir été engagé dans une hostilité active.

3.  La guerre des matériaux : la souveraineté par les ressources

Outre l’infrastructure et les données, la souveraineté numérique repose aussi sur l’accès aux ressources matérielles nécessaires à la production technologique. Dans ce domaine, la Chine détient un avantage stratégique considérable. Elle contrôle directement ou indirectement plus de 80 % des terres rares et des métaux critiques indispensables à la fabrication de composants électroniques, d’ordinateurs, de batteries, de capteurs et de dispositifs d’intelligence artificielle.

Cette maîtrise des ressources fondamentales place Pékin en position de force dans les négociations internationales. La Chine peut conditionner l’accès à ces matériaux à des concessions diplomatiques, technologiques ou économiques. Pour les États souhaitant maintenir une posture de neutralité stratégique, cette dépendance constitue un facteur de pression extérieur qui limite leur marge de manœuvre. Car la neutralité, pour être crédible, doit être associée à une certaine autonomie matérielle.

4.  Une vulnérabilité généralisée des États non alignés

Dans un monde où la plupart des infrastructures numériques sont concentrées entre les mains d’une poignée de puissances technologiques, la grande majorité des États sont placés en situation de vulnérabilité stratégique. Leur accès à l’Internet, leur capacité à héberger et protéger leurs données, à sécuriser leurs transactions économiques, à assurer la résilience de leurs réseaux, dépend d’acteurs extérieurs.

Cette vulnérabilité affaiblit non seulement la souveraineté, mais aussi la crédibilité de toute posture de neutralité. En cas de crise ou de conflit informationnel, l’État neutre peut voir ses canaux coupés, ses données captées, son espace informationnel déstabilisé. La neutralité devient alors une posture nominale, sans consistance opérationnelle.

5.  Vers une neutralité numérique active

Face à cette situation, il devient nécessaire de concevoir une nouvelle forme de neutralité : une neutralité numérique active. Celle-ci ne se définit plus par l’abstention, mais par l’action : développer des infrastructures souveraines, créer des normes nationales ou régionales de régulation, promouvoir des alternatives aux plateformes dominantes, construire des coalitions d’États pour défendre la gouvernance du cyberespace comme un bien commun mondial.

Une telle neutralité suppose aussi un travail diplomatique : appuyer les initiatives multilatérales pour la régulation du numérique (comme l’Appel de Paris, le Pacte numérique de l’ONU, ou les discussions sur la neutralité numérique à Genève), et affirmer que la souveraineté numérique est une condition non négociable de la paix.

En d’autres termes, dans le monde contemporain, la neutralité ne se proclame plus, elle se construit. Elle repose moins sur la distance aux conflits armés que sur la maîtrise des conditions techniques, économiques et informationnelles qui les rendent possibles ou évitables.

III. Plateformes numériques, guerre cognitive et érosion de la souveraineté populaire

Dans l’univers numérique contemporain, les enjeux de souveraineté et de neutralité ne se limitent plus aux infrastructures techniques ou à la maîtrise des ressources. Un champ d’affrontement encore plus subtil et décisif s’est imposé : celui du contrôle de l’information, de l’attention et de la cognition. Les grandes plateformes numériques, en particulier les GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon, Microsoft) à l’ouest, et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) à l’est, jouent un rôle structurant dans la production, la circulation et la hiérarchisation des contenus. Elles façonnent l’opinion, orientent les comportements, manipulent les émotions. En cela, elles participent à une forme de guerre cognitive permanente, qui remet en cause non seulement la souveraineté des États, mais aussi celle des peuples. La neutralité, dans ce contexte, ne peut être réduite à une non-participation militaire. Elle doit s’entendre comme la capacité d’un État à garantir à ses citoyens un espace informationnel stable, pluraliste et vérifiable.

1.Une souveraineté informationnelle confisquée

Les plateformes numériques concentrent une part considérable du pouvoir dans les sociétés contemporaines. Elles filtrent les contenus visibles, hiérarchisent les sources, modulent la visibilité des acteurs publics ou privés, collectent massivement des données comportementales qu’elles revendent ou utilisent à des fins de ciblage algorithmique. Leur puissance économique dépasse parfois celle des États : certaines capitalisations boursières de ces entreprises dépassent le PIB annuel de plusieurs pays d’Afrique ou d’Amérique latine.

Or, ces plateformes ne sont pas neutres. Elles obéissent à des logiques de profit, de captation de l’attention, voire à des logiques idéologiques. Elles exercent un pouvoir de plus en plus direct sur la structuration du débat public, sans être soumises aux mêmes contraintes que les institutions démocratiques. Cette situation crée une asymétrie profonde : les gouvernements sont responsables politiquement, mais les plateformes agissent sans mandat, sans transparence, sans responsabilité. La neutralité de l’espace public numérique est donc largement fictive.

2.  Guerre cognitive et manipulation de l’opinion

Le professeur James Giordano, neurobiologiste américain intervenu à West Point en 2017, a synthétisé cette transformation en une formule saisissante : « Le cerveau humain est le champ de bataille du XXIe siècle. » Cette formule traduit une réalité concrète : la guerre de demain ne se joue pas seulement dans les airs, sur terre ou en mer, mais dans les perceptions, les récits, les émotions. Elle passe par la désinformation, la polarisation, la radicalisation algorithmique.

Les exemples abondent. L’affaire Cambridge Analytica a révélé comment des millions de données personnelles d’utilisateurs de Facebook ont été utilisées pour influer sur les résultats électoraux aux États-Unis en 2016 ou lors de campagnes en Italie ou en Afrique. Les Printemps arabes, tout en exprimant des revendications légitimes, ont aussi été facilités, voire orientés, par des dynamiques informationnelles pilotées depuis l’étranger, notamment via des ONG, des plateformes ou des organes de renseignement.

Dès lors, la souveraineté populaire est mise en péril. Un peuple qui ne maîtrise pas l’information qu’il reçoit, qui n’a pas accès à des sources fiables, qui est manipulé par des boucles algorithmiques émotionnelles, ne peut exercer librement sa volonté politique. Or, une neutralité réelle implique précisément que la formation de la volonté générale ne soit pas biaisée par des puissances extérieures.

3.  L’IA comme instrument de domination invisible

L’intelligence artificielle, et plus particulièrement l’IA générative et les systèmes de recommandation, amplifient encore cette dynamique. Ces outils sont capables de produire des contenus massifs, de simuler des voix, des visages, d’orienter des décisions politiques, de cibler des populations à grande échelle. Ils sont utilisés tant à des fins commerciales que militaires, stratégiques ou de renseignement.

Certaines entreprises, comme Palantir ou Anduril, développent des technologies d’IA appliquées directement à la guerre, à la surveillance de masse ou à la sécurisation des frontières. En Israël, l’armée a récemment utilisé un système algorithmique nommé Habsora (l’Évangile) pour déterminer les cibles à frapper dans la bande de Gaza. En Ukraine, les États-Unis ont utilisé des systèmes de renseignement et d’analyse prédictive permettant d’anticiper les mouvements russes.

Dans ce contexte, la neutralité numérique d’un État n’est pas qu’un choix politique : elle est aussi une capacité technique à ne pas dépendre d’outils conçus pour servir des intérêts étrangers. L’alignement technologique crée mécaniquement un alignement stratégique.

4.  Repenser la neutralité à partir de la souveraineté cognitive

À travers ces différents exemples, on voit bien que la neutralité ne peut être seulement définie comme non-belligérance. Elle doit se concevoir comme la capacité à préserver l’autonomie cognitive d’un peuple et la stabilité informationnelle d’une société. Cela implique de penser une souveraineté cognitive, c’est-à-dire :

  • le droit à des infrastructures de communication libres et protégées,
  • l’accès à une information diversifiée et vérifiée,
  • la transparence des algorithmes qui modèlent les comportements collectifs,
  • l’éducation critique des citoyens face aux manipulations de masse.

Une telle souveraineté est une condition sine qua non pour une neutralité crédible. Un État qui ne peut garantir à sa population l’intégrité de son jugement politique ou la sécurité de son environnement informationnel est un État exposé, manipulable, instrumentalisable. Il ne peut prétendre à la neutralité, car il ne maîtrise pas les leviers fondamentaux de sa stabilité.

IV. Vers une neutralité numérique active : principes, instruments et horizons de coopération

La neutralité, si elle fut longtemps associée à l’abstention militaire dans les conflits armés, doit aujourd’hui être repensée comme un instrument de souveraineté numérique dans un monde interconnecté, traversé par des rivalités technologiques, des opérations de cyberguerre et une militarisation croissante de l’intelligence artificielle. Dans ce contexte, la neutralité numérique active ne consiste plus à se retirer du jeu international, mais à s’organiser pour ne pas être dominé. Elle devient ainsi une forme d’engagement stratégique au service de la paix.

Une telle approche repose sur trois dimensions essentielles : technique, normative et cognitive.

• Sur le plan technique, il s’agit de garantir un contrôle souverain sur les infrastructures critiques : data centers, réseaux, cloud, plateformes stratégiques.

• Sur le plan normatif, la neutralité consiste à co-construire les règles et standards internationaux du cyberespace, plutôt que de les subir.

• Sur le plan cognitif, elle implique de protéger l’espace informationnel national contre la manipulation, la désinformation et la polarisation algorithmique, afin de garantir un débat démocratique sain.

Pour rendre ces principes opérationnels, plusieurs leviers doivent être activés.

Tout d’abord, le principe de souveraineté technologique : il est nécessaire que chaque État puisse stocker, gérer et sécuriser ses données essentielles. Cela implique le développement de solutions locales (clouds souverains), la maîtrise des chaînes d’approvisionnement numériques et la réduction des dépendances stratégiques.

Ensuite, le principe de non-alignement numérique : dans un monde bipolaire dominé par les standards américains (GAFAM) et chinois (BATX), refuser l’alignement technologique devient une condition de l’autonomie. Cela suppose de maintenir une capacité d’arbitrage, d’investir dans des normes ouvertes, et d’éviter les enfermements systémiques.

Enfin, le principe de coopération multilatérale : aucune souveraineté numérique ne peut être construite dans l’isolement. La neutralité active exige au contraire une participation structurée aux enceintes internationales pour y défendre un ordre numérique ouvert, pacifié et équilibré.

Plusieurs initiatives récentes traduisent cette volonté de bâtir un cadre collectif de gouvernance :

• L’Appel de Paris pour la sécurité du cyberespace (2018), signé par plus de 70 États, entreprises et ONG, vise à établir des règles communes pour prévenir les comportements hostiles en ligne ;

• Le Pacte numérique mondial, porté par le Secrétaire général des Nations Unies, entend fixer des principes partagés sur la protection des droits numériques, l’IA responsable et la gouvernance éthique ;

• Le règlement DSA (Digital Services Act) de l’Union européenne et le projet Gaia-X illustrent une volonté régionale de reconquête numérique.

Dans cette perspective, la Suisse et Genève en particulier apparaissent comme des lieux stratégiques pour incarner cette neutralité active à l’échelle internationale. Par sa tradition de neutralité politique, son engagement en faveur du multilatéralisme et sa concentration unique d’organisations internationales, Genève s’affirme comme un véritable laboratoire de la gouvernance numérique mondiale.

On y trouve notamment :

– L’Union internationale des télécommunications (UIT), qui définit les normes techniques globales ;
– L’OMPI, active sur les questions de propriété intellectuelle numérique et d’IA ;
– La Geneva Internet Platform, espace de dialogue multiacteurs sur les normes et enjeux numériques ;
– Le CyberPeace Institute, qui défend une approche éthique de la cybersécurité ;
– Des débats émergents au sein de la Genève internationale sur une « neutralité numérique », inspirée du droit humanitaire, destinée à protéger les infrastructures critiques et les populations civiles lors des cyberconflits.

La Suisse pourrait donc jouer un rôle de médiatrice numérique, en promouvant des accords sur la non-ingérence dans les systèmes d’information, la protection des infrastructures civiles, la régulation de l’intelligence artificielle militaire et la garantie d’un accès équitable aux ressources numériques.

Cette voie, encore balbutiante, offre pourtant une perspective forte : redéfinir la neutralité non comme passivité, mais comme levier de construction d’un ordre numérique pacifié. C’est en défendant un modèle souverain, mais coopératif, que les États pourront opposer à la fragmentation actuelle un cadre fondé sur la pluralité, la sécurité collective et la paix.

Conclusion : Repenser la neutralité à l’âge numérique : une condition de souveraineté et de paix

Dans le monde analogique, la neutralité consistait à rester en dehors des guerres armées, à ne pas prendre part aux alliances militaires, à garantir une forme d’équilibre stratégique par le retrait volontaire. Mais dans l’univers numérique, où les conflits sont invisibles, diffus, permanents et sans frontières, cette logique ne suffit plus. La neutralité ne peut être un simple refus d’intervenir; elle devient une capacité à résister, à arbitrer, à structurer l’espace numérique selon ses propres normes.

Loin d’être un repli, la neutralité numérique est une affirmation souveraine. Elle suppose de pouvoir décider librement des infrastructures utilisées, des données protégées, des règles appliquées et des formes de coopération acceptables. Elle est inséparable d’une volonté politique, d’une autonomie technologique et d’une maturité juridique.

Elle est également un engagement pour la paix, car un ordre numérique non régulé, fragmenté et asymétrique ne peut conduire qu’à l’escalade, à la désinformation et à la déstabilisation durable des sociétés.

Dans cette optique, la neutralité numérique active apparaît non pas comme une posture d’indifférence, mais comme une contribution stratégique à la stabilité mondiale. Elle articule souveraineté et responsabilité, autonomie et coopération. Elle doit désormais devenir un axe central de toute politique étrangère et de tout projet diplomatique contemporain.

Il est temps de reconnaître que la souveraineté numérique est la condition moderne de la neutralité, et que la neutralité, dans son sens actif, est l’un des derniers remparts contre la guerre numérique généralisée.

Hicheme Lehmici, analyste géopolitique, Chargé de cours à lUMEF.

Pour le Colloque international sur la neutralité : un appel à l'action pour une neutralité active et la paix mondiale, Genève, 26-27 juin 2025

Recherche et analyse
July 22, 2025
Le «present» de la neutralite, et son avenir
Martin Chodron de Courcel, Professeur de philosophie

Je voudrais, pour évoquer ce principe de neutralité, commencer par dire qu’il faut être sensible à l’allure de l’Histoire. Cette allure de l’Histoire me semble marquée par une oscillation permanente entre des élans contradictoires. Si vous m’y autorisez je dirais volontiers que l’Histoire oscille en permanence entre des élans « iréniques » et des élans « polémiques ». 

Par élan irénique j’entends des moments favorables à l’idée de paix (c’est-à-dire le silence des armes) et par élan polémique j’entends ces moments où la politique laisse la place à la guerre. 

Il est clair que nous sommes dans un élan polémique, alors que la période historique que j’évoquerai tout à l’heure, qui a vu la création de la Société des Nations et plus tard la naissance de l’ONU, était un élan irénique. 

La condition de possibilité de la justice c’est l’existence d’un tiers dans un différend, or ce tiers est absolument différent des partis engagés dans leur différend. 

Le monde a besoin d’arbitre, il a besoin d’arbitrage. Quelle meilleure situation, pour rendre un arbitrage, que de le placer dans un espace neutre ?

Si la neutralité n’existait pas, il faudrait l’inventer. Or elle existe. Je voudrais, en quelques mots, cerner cette existence, et contribuer à rappeler son importance. 

Le principe de neutralité repose sur la mise à l’écart d’un axiome qui nous vient de loin, puisqu’il nous vient de Rome.

Quel est cet axiome ?

« Qui n’est pas avec moi est contre moi ». On en trouve la trace chez Tite-Live – « repousser l’alliance des Romains serait faire acte de folie  : il faut en faire des amis ou des ennemis. Choisissez » .

Cet axiome, que l’on pourrait aussi qualifier d’axiome du tiers exclu, repose sur une idée simple : dans la guerre l’indifférence est exclue, le monde se limite au partage ami/ennemi, une tierce position n’a pas lieu d’être.

C’est aussi l’émergence d’une autre idée simple : dans la guerre, pour s’en sortir, il faut élaborer des alliances. Or qu’est-ce qu’une alliance ? , c’est, si l’on peut dire, le lieu par excellence, de la fabrication du principe du tiers exclu.

Si la guerre est la politique continuée par d’autres moyens, alors la guerre vérifie le quasi réflexe qui est au cœur de la politique, le réflexe parfaitement formulé par un philosophe français, Gaston Berger, le père de Maurice Béjart, formulation qui se trouve dans le journal de Béjart, qu’il avait croisé avec celui de son père (la Mort subite)

Nous pouvons y lire ceci :

-       Un homme : l’ennui

-       Deux hommes : ‘la guerre

-       Trois hommes : la politique

La politique commence avec le jeu des alliances, deux hommes se liguent contre un troisième.

Le principe d’exclusion est en marche, une position neutre est par là-même exclue.

Guerres et alliances peuvent être considérées comme des invariants anthropologiques.

Le principe de neutralité n’a donc pas de racine anthropologique, c’est sa faiblesse, mais c’est aussi sa force.

Sa faiblesse, car il ne parle pas vraiment aux humains que nous sommes. Être humain c’est être partial. Ce n’est pas l’égoïsme individuel qui est à la racine de nos actions, c’est la volonté de protéger les siens, les miens d’abord, les autres après. 

Dit autrement : spontanément nous sommes injustes car la justice ne fait pas acception des personnes. D’où sa figuration avec les yeux bandés.

« Le phénomène « Droit » existe chaque fois qu’a lieu l’intervention d’un tiers désintéressé ».

Ce tiers désintéressé intervient de façon impartiale aimait à dire Alexandre Kojève.

Et cette position de tiers désintéressé et impartial n’est jamais bien acceptée contrairement à ce que l’on pourrait croire. 

Le principe du contradictoire, qui est au cœur du droit et de la justice, exige un rituel qui n’a rien de naturel.

Le principe de neutralité, en ce sens, ressemble au droit, car il repose sur le présupposé de la possibilité de la position d’un tiers.

Voilà pourquoi cette faiblesse apparente du principe de neutralité - il n’a pas de fondement anthropologique – est en réalité sa force.

C’est un principe qui surgit dans l’histoire, l’ancien juge à la Cour Internationale de Justice, Isidro Fabela, insistait sur ce fait historique que « la neutralité est un concept juridique moderne ». 

Et il en proposait une définition succincte : « la neutralité est la situation juridique d’un Etat à l’égard de deux ou de plusieurs belligérants, selon laquelle il ne participe pas à la guerre et n’aide aucun des combattants ». 

Ce parti pris de non-participation, ce parti pris de non parti pris, provoque aussitôt des résistances. 

Ce que disait Luc De Meuron en 1946 ( Notre Neutralité) n’a rien perdu de son actualité : « depuis le Congrès de Vienne, notre pays se refuse à faire l’histoire, à participer à la grande mêlée de larmes et de sang où s’effondrent les empires et où naissent « des lendemains qui chantent ».

Il a renoncé à la guerre et a sacrifié pour la Paix son besoin de grandeur. 

S’il continue à affirmer sa vitalité et sa foi à l’intérieur de ses frontières, il commet à d’autres le soin enivrant de forger le destin du monde… ». 

Toutes les fois que se pose le problème de notre neutralité, la Suisse connait aussi un drame intérieur qui la bouleverse moralement parce qu’elle a peur d’être lâche.

Elle oublie simplement qu’en se voulant neutre, elle reste seule dans le heurt des passions et le fracas des batailles. 

En se faisant reconnaitre un statut de neutralité perpétuelle, notre pays assume devant l’histoire, le rôle ingrat, mais combien noble, de l’objecteur de conscience qui, pour toujours, a dit non à la guerre ».

Que retenir de ce petit texte de 1946  que Luc de Meuron présentait comme un « avant propos » pour sa réflexion sur « Notre neutralité » ?

La Suisse par son choix de la neutralité s’expose assez régulièrement, pour ne pas dire fréquemment, au « drame intérieur », le drame d’un pays qui a peur d’être lâche. 

En se tenant à distance des grandes mêlées de larmes et de sang où s’effondrent les empires, la Suisse a accepté, par là-même, d’assumer le rôle ingrat d’un pays qui soulève des objections face au cours de l’histoire.

Rôle ingrat parce que la reconnaissance se fait toujours attendre.

Enfin, le plus important tient au titre de son livre « Notre neutralité ».

La neutralité suisse n’est pas une neutralité parmi d’autres, elle a quelque chose d’unique. Et c’est cette singularité qui la fait bien souvent méconnaitre. 

Tout se résume, sans doute, dans ce petit mot lourd de sens : «  perpétuelle ». 

Il est assez remarquable que cette peur redoutée d’être tenue pour lâche ressurgisse dans un colloque en septembre 1983.

Louis-Edouard Roulet introduisant les actes du colloque international sur les Etats neutres européens et la seconde guerre mondiale, organisé par les universités de Neuchâtel et de Berne en septembre 1983, remarquait ceci : « la guerre, pour effroyables qu’en soient les manifestations, retient par ses aspects épiques, dramatiques voire tragiques, l’attention et des contemporains et de la postérité. A côté du fracas des armes et de la misère des hommes, la neutralité se révèle peu spectaculaire. Bien qu’elle corresponde essentiellement à une volonté pacifique et qu’elle prétende à une philosophie du droit international qui préfèrerait régler les différends par un arrangement négocié, elle n’est pas à proprement parler populaire, sauf pour les ressortissants contemporains d’un pays qui en bénéficie.  Celui qui est engagé dans un combat dont l’issue ne le concerne pas seulement à titre personnel, mais dont il pense qu’elle déterminera la survie du pays auquel il appartient, n’a que peu de considération pour ceux demeurés à l’écart, à l’abri des coups et dont l’attitude lui paraitra généralement complice d’une forme de lâcheté ».

J’évoquais la figure d’Isidro Fabela, il remarque que « la neutralité perpétuelle, volontaire et intégrale de la Confédération helvétique, est un cas unique dans l’Histoire du Droit international moderne ». 

Or, un cas unique brouille le jeu des comparaisons, voire rend les comparaisons impossibles. Elle dessine surtout une vocation, et une vocation a besoin de se conforter, de se réconforter car elle ne peut compter que sur elle-même.

Une telle vocation a des ennemis et ces ennemis ne sont pas nécessairement infréquentables.

Le diplomate, Nicolas Politis (1872 – 1942) dans un petit livre la Neutralité et la paix (1935) où il s’interroge sur l’avenir de la neutralité dans son rapport à l’organisation de la paix, ouvre sa réflexion par une citation du grand juriste Antoine Loysel (1536 – 1617) « qui peut et n’empêche pèche ».

C’est donner beaucoup de pouvoir au pouvoir, il faudrait dire à la puissance, et c’est condamner par principe une politique de l’abstention, à la faveur d’un principe d’ingérence. 

D’ailleurs, dans son ouvrage, Nicolas Politis considère que la neutralité n’est plus de saison :

« la neutralité est née et s’est développée comme un produit de l’anarchie internationale dans un monde où les Etats avaient la prétention d’exercer sans le moindre contrôle un pouvoir souverain illimité où ils avaient le droit absolu de guerre, où ils ne connaissaient aucun système régulier de justice, où l’interdépendance de leurs intérêts ne pouvait être conçue que comme une spéculation de l’esprit, où enfin leur communauté était dépourvue de toute organisation ». 

Voilà, pour Nicolas Politis, les conditions historiques qui pouvaient expliquer et justifier la neutralité.

Cette liste des conditions favorables à la neutralité a été dressée en Janvier 1935.

Or, pour Nicolas Politis, l’émergence de la Société des Nations (S.D.N.) basée à Genève et qui durera 26 ans, change totalement la donne et conduit au « déclin de la neutralité ».

«En droit, la neutralité a cessé d’être une institution. Mais le droit est ici en avance sur les habitudes, sur les croyances, sur les faits ». 

Et reprenant la maxime de Loysel placée en exergue de son livre « qui peut et n’empêche pèche », il considère que si cette maxime « n’a plus guère de valeur en droit interne, elle en conserve une, et bien grande, en droit international...

La maxime de Loysel traduit si bien un besoin primordial de la vie des peuples qu’elle mérite d’être répandue comme un mot d’ordre qui doit pénétrer profondément dans la conscience des hommes civilisés pour inspirer et guider la conduite de tous les gouvernements. C’est pourquoi elle a été placée en exergue du présent ouvrage ». 

Nicolas Politis était un ennemi de la neutralité parce qu’il était un ami du droit international et de la justice internationale. 

Si la mise hors la loi de la guerre par le pacte de Paris devenait une réalité historique « condamné dans son principe par le pacte de Paris, ne pouvant plus servir l’intérêt bien entendu des nations, le régime traditionnel de la neutralité devait être délibérément abandonné ». 

Je rappelle que par « Pacte de Paris » on entend le pacte Briand-Kellog qui est un traité de paix signé en 1928 et qui condamne le recours à la guerre pour régler les différends entre les Etats.

On touche ici aux limites du droit, car le droit est l’art des solutions.

La Société des Nations était une solution, tout comme l’ONU sera une nouvelle solution.

Les solutions ont toutefois un inconvénient, elles cherchent à être la bonne réponse à une question, que celle-ci soit bien ou mal posée.

Mais la neutralité est-elle une solution ? Et si elle est une solution alors qu’elle était la question ? Les solutions ont une histoire, elles ne sont jamais définitives, elles sont provisoires. La neutralité perpétuelle qui écarte audacieusement la tentation du provisoire, n’est pas une solution elle est une position. Une position issue d’une prise de position. Or une position n’est pas une réponse, c’est une instauration. On ne répond pas à une interpellation du passé, on instaure un avenir. 

On cherche, par avance, à répondre de l’avenir. Cette position, je le disais, est rarement comprise. Les peuples ont pris le goût aux ingérences, ils finissent par perdre de vue leurs combats pour l’autodétermination. 

J’évoquais Luc de Meuron et son livre Notre neutralité. Il se trouve qu’un an plus tôt, en 1945, un certain Winston Churchill rencontrait à Paris une figure que tous les Suisses connaissent, Carl J. Burckhardt. Cette rencontre est racontée par Max Petitpierre, il vaut la peine de le citer : «Votre neutralité, je n’en connais pas l’historique, mais elle nous a rudement servi au point de vue stratégique. Elle est une nécessité, ou plutôt elle a été une nécessité, car la prochaine fois, si nous ne réussissons pas à l’éviter, plus rien ne tiendra, aucune loi internationale. Ce ne sera qu’alors que nous connaitrons la guerre totale. ». 

«Carl Burckhardt n’était pas à Paris seulement comme observateur. Il devait aussi donner une image de la Suisse et de ses réalités. Historien et Européen, il pouvait présenter la neutralité suisse comme une des constantes de la politique européenne et défendre la politique qui en découlait et qui, comme on le sait, n’était pas très populaire dans les pays qui avaient été entrainés dans la guerre, et en particulier en France. 

On se souvient que l’hostilité française à notre neutralité c’était manifestée à la conférence de San Francisco de 1945 où la délégation française proposa qu’on introduisit dans la Charte des Nations Unies une disposition selon laquelle il y avait incompatibilité entre la neutralité et la qualité de membre de la nouvelle organisation ». 

La chasse aux incompatibilités est une chasse perpétuellement ouverte, son arme favorite est l’intimidation. Ce que rapporte Max Petitpierre, à l’occasion de la mission à Paris de Carl J. Burckhardt, nous donne à voir à quel point la neutralité perpétuelle de la Suisse est régulièrement « en question ». Mais ce que montre l’histoire de la Suisse est que sa neutralité perpétuelle est « hors de question », en dehors d’un questionnement en amont de toute question. 

Conclusion 

Qu’est-ce que la neutralité ? la neutralité n’est pas l’effet d’une neutralisation subie, et qui écarterait ainsi un pays de l’histoire vivante, même si une telle neutralité existe bien dans certains pays. La neutralité, telle que nous la voyons à l’œuvre dans la neutralité perpétuelle reconnue à la Suisse, est d’un autre ordre.

C’est à la langue latine d’en demander le sens profond. L’adverbe « neutro » signifie « vers aucun des deux côtés », « neutrum » cela veut dire « ni l’un ni l’autre». On retombe ainsi sur l’axiome romain, qu’elle écarte d’entrée de jeu, qui n’est pas avec moi est contre moi. La neutralité lui répond :

«je ne suis ni avec toi ni avec ton meilleur ennemi, je suis résolument indifférente à ta mauvaise querelle. Mais ne t’inquiète pas car je m’active dans mon coin pour préparer ta prochaine négociation, qu’aujourd’hui tu refuses mais que demain tu imploreras.

Je ménage une place à l’aménité pour libérer le monde de ton enfer du comminatoire ».  

Martin Chodron de Courcel, Professeur de philosophie

Pour le Colloque international sur la neutralité : un appel à l'action pour une neutralité active et la paix mondiale, Genève, 26-27 juin 2025

Recherche et analyse
June 29, 2025
Un appel mondial pour la neutralité active lancé depuis Genève
www.swissinfo.ch

Plusieurs acteurs ont lancé un appel mondial à Genève pour la neutralité active au moment les grandes puissances durcissent le ton. La ville est en compétition avec Vienne pour attirer un Congrès international sur cette question en 2026.

(Keystone-ATS) Au terme de deux jours d’une réunion qui a rassemblé 90 experts de la diplomatie, du droit international et du numérique de 27 pays à Troinex (GE) et en ligne, une déclaration publique et un plan ont été approuvés vendredi. D’ici fin 2026, l’objectif est de lancer un Réseau international sur la neutralité qui observera les pratiques des différents acteurs.

D’ici 2030, une Déclaration de l’ONU sur la neutralité active dans l’écosystème numérique et un label sont souhaités. Et un accord international contraignant pour la neutralité à l’ère numérique devra suivre à plus long terme.

Les confrontations entre grandes puissances provoquent de plus en plus de tensions. Alertant sur une « urgence », la déclaration publique relève que la neutralité ne signifie pas « l’indifférence ».

Celle-ci doit contribuer à la prévention et la résolution des conflits, de même qu’au désarmement et au basculement des dépenses militaires vers les investissements sociaux et écologiques. Et éviter une militarisation de l’intelligence artificielle (IA). La demande est lancée alors que les pays de l’OTAN ont décidé l’augmentation à 5% de leur Produit intérieur brut (PIB) de leur financement militaire.

Après Bogota

Face à cette situation, « nous pensons que Genève et les espaces neutres en général jouent un rôle essentiel pour favoriser le dialogue, rechercher la vérité et défendre l’intérêt général », a affirmé à Keystone-ATS le président du Centre de Genève pour la neutralité, Nicolas Ramseier.

Il faut s’interroger « sur notre neutralité suisse, dite active, et, plus largement, sur le rôle que peuvent jouer les autres Etats neutres », ajoute-t-il. Et d’insister sur le fait que « plus la fragmentation et la méfiance s’accroissent, plus la demande de zones neutres, transparentes et sécurisées, tant physiques que numériques, devient forte ».

Mais il devient plus difficile de faire accepter « une position neutre », admet M. Ramseier. Son centre a été précisément établi dans cette période « de critiques, de malentendus et de réinterprétations », notamment contre la Suisse. « Nous devons repenser la neutralité », « comme une posture proactive et structurée », et l’adapter aux défis technologiques du 21e siècle, estime le président.

Après Bogota l’année dernière, le Congrès international sur la neutralité pourrait être organisé en juin 2026 à Genève. Des centaines de dirigeants, académiques ou membres de la société civile devraient participer.

https://www.swissinfo.ch/

 

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